Japon, Corée du Sud, Taïwan. Au cœur d’une Asie du Nord-Est réputée pour son pouvoir d’achat et son art de vivre, le marché de la décoration pourrait bénéficier en 2021-2022 d’un effet de traction inédit. En cause : la crise du COVID-19. « Avec les confinements successifs et le télétravail, les populations ont pris conscience de l’importance du bien-être à domicile et du marqueur social que la décoration intérieure représentait », explique Jérôme Julliand, coordinateur Art de Vivre sur la zone pour Business France. « Dans les mois qui viennent, on va assister à la fois à la reprise du marché des hôtels et restaurants et à l’accélération de la demande côté particuliers, avec une forte épargne disponible pour ce type d’achats ».

 

 

1. Une croissance rapide de la consommation B2B

4. Travailler sa com' et son adaptation produit

2. Des tendances épurées et naturelles

5. Le e-commerce à conquérir

3. Le Made In France entre tradition et modernité

 

UNE CROISSANCE RAPIDE DE LA CONSOMMATION B2C


Et pour cause : au Japon, le consommateur moyen dépense déjà 223 euros par an en objets de décoration et le marché ne devrait pas faiblir - on recense 1,4% de croissance sur la période 2019-2020 avec un chiffre d’affaires global à 25,6 milliards d’euros[1]. En Corée du Sud, la croissance monte même à 2,4%, et à Taïwan elle est estimée à 4,3% en post-COVID ! De quoi susciter l’intérêt des fournisseurs étrangers, surtout si l’on considère que 40% de la consommation coréenne est d’origine importée
Certes ces deux derniers pays témoignent de marchés relativement moins mûrs que le Japon (8 milliards d’euros pour la Corée du Sud et 3,7 milliards à Taïwan en 2020) mais l’effet de rattrapage est bien là : sur le seul segment mobilier qui représente presque deux tiers du marché, 4% de croissance sont attendus dans les années à venir et, à Taïwan, les importations de produits français ont connu un bond de 13% en 2019 ! « Tous ces chiffres indiquent une évolution très rapide de la physionomie des importations : si les entreprises françaises avaient l’habitude d’être sollicitées en B2B (hôtels restaurants, locaux professionnels), il est fort probable qu’elles soient amenées à se positionner également sur le marché des particuliers – comme en témoignent les nombreuses commandes reçues en direct via les e-shops », signale Jérôme Julliand.

 

 

DES TENDANCES ÉPURÉES ET NATURELLES

Intérêt grandissant pour le slow life, le newtro, le do-it-yourself, le cocooning… les tendances s’affichent sur les comptes des instagrameurs influents du marché ou dans les pop-up stores des grandes villes. Des magasins spécialisés en ameublement comme Actus au Japon ou des departments stores plus généralistes comme Shinsegae ou Lotte en Corée du Sud s’intéressent de près aux offres audacieuses, design, qui justifient leur prix premium par la qualité et l’originalité.

Mais LA tendance du moment, c’est bien sûr l’écoresponsabilité et le rapport à la nature. « Surtout dans un pays comme le Japon, très empreint de naturalité, précise Jérôme Julliand. La Corée du Sud et Taïwan s’y mettent également mais l’approche reste encore assez consumériste ». Des start-up d’upcycling ou de seconde main comme la startup coréenne Danggeun et son application Karott, cartonnent auprès de cibles plus jeunes, prescriptrices pour les années à venir. Et dans la lignée de ce besoin de bien-être naturel, les tendances outdoor vantent les équipements de plein air pour des expériences au plus près de l’environnement.

 

LE MADE IN FRANCE ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ

Une opportunité pour les marques françaises ? « On commence à avoir une image eco-friendly », confirme Jérôme Julliand. Mais le Made in France dans l’imaginaire local, c’est d’abord une affaire de raffinement, de luxe et d’histoire avec un grand H. « Le rapport à l’Histoire et à l’artisanat est notamment très prégnant au Japon, pays aux nombreux labels de tradition. Mais on essaie de pousser un discours plus moderne derrière l’offre française », précise Jérôme Julliand. Les 9 et 10 décembre prochains, il projette d’organiser avec les équipes de Business France l’événement « Art de Vivre à la Française[2] » à la résidence de France à Tokyo, un rendez-vous inédit au Japon. « C’est l’occasion pour une vingtaine de marques françaises de venir exposer leurs offres auprès des influenceurs et prescripteurs du marché », souligne-t-il. Car certaines communautés comme les KOL spécialisés France ou déco, les architectes d’intérieur ou les artisans locaux ne doivent pas être négligées pour construire une image dans la zone. Idem pour le télé-shopping, véritable institution en Corée du Sud, ou encore le live shopping (son équivalent sur internet) qui se développe à vive allure, même dans le segment luxe !

 

 

TRAVAILLER SA COM’ ET SON ADAPTATION PRODUIT

« De façon générale, il est important d’avancer pas à pas avec le distributeur sur le marketing ou la stratégie de vente et de pricing, avertit Jérôme Julliand. Beaucoup de marques sous-estiment cette partie et reviennent en France après quelques années, faute de notoriété ». La dimension événementielle et expérientielle est notamment de mise pour attirer les cibles les plus jeunes ou les plus aisées : à Séoul, la maison de porcelaines Bernardaud s’est ainsi fait connaître par l’ouverture d’un café-boutique où les mets sont servis directement dans la vaisselle du créateur. Et à l’ambassade de France, l’exposition de matelas Epeda a constitué un réel accélérateur pour la marque.

 « Le consommateur est averti et exigeant : au-delà de l’identité française que l’on vend, il faut savoir aussi s’adapter aux goûts et usages locaux pour justifier son prix haut de gamme », note Jérôme Julliand. S’intégrer dans un intérieur japonais ou proposer de la vaisselle adaptée au repas asiatique feront ainsi partie des critères de choix du consommateur. Quitte, pour les fournisseurs, à développer une gamme dédiée à ce marché.

Le Japandi, mix entre style scandinave et style japonais procède ainsi de ce constat et entérine la prééminence actuelle des marques scandinaves sur le marché. « En matière de concurrence, on arrive à se distinguer face aux américains et aux italiens mais c’est plus dur face aux scandinaves », confirme-t-il. La France peut toutefois s’enorgueillir de belles success stories comme Pierre Frey ou Baccarat qui lui permettent de se positionner parmi les premiers fournisseurs au Japon (2e pour la verrerie et 3e pour le textile de maison). En Corée du Sud, elle est 11ème pays fournisseur en luminaires et meubles et, à Taïwan, 12ème au global sur le segment Art de Vivre (3e pour la verrerie et 3e pour les œuvres d’art).

 

LE E-COMMERCE À CONQUÉRIR

Prochain défi : investir le e-commerce et les grandes market places locales (Coupang et Gmarket en Corée, Rakuten et Amazon au Japon, momo et PChome à Taïwan) pour accélérer davantage la visibilité des produits, dans un marché qui consomme de plus en plus en digital. « En Corée du Sud, plus de 30% des biens consommés proviennent du e-commerce, tous secteurs confondus », souligne Jérôme Julliand. Si le Japon et Taïwan tournent plutôt autour de 10%, le canal reste tout de même incontournable et peut permettre aux marques de tester le marché.

« C’est le bon moment pour le faire, conclut Jérôme Julliand : le rebond est attendu d’ici peu côté consommation et il sera fort. Les marques françaises ont un créneau à prendre maintenant. Mais attention : ne pas négliger le budget marketing, la stratégie de vente et même une gamme dédiée ! ».

 

 


[1] essentiellement tiré par le textile de maison (10,6 milliards d’euros) et le mobilier (8,4)
[2] Plus d’informations : https://www.businessfrance.fr/exposition-art-de-vivre-a-la-francaise-tokyo-japon