Quelle relance internationale pour le ferroviaire français ? Alors que le plan national de la filière tarde à se faire jour après la crise du COVID-19, les interrogations des professionnels du secteur se portent sur le maintien des grands projets. « Pour l’instant, nous n’avons pas observé d’annulation ni de ralentissement au niveau des appels d’offres, juste des décalages dans les dates », témoigne Sarah Madjedi, VP International Tenders chez SYSTRA. « Mais le report de certains projets fera nécessairement peser un effort de trésorerie sur des structures de petite taille ou de taille intermédiaire », complète Pascal Pin, président du cluster ferroviaire d’Occitanie MIPIRAIL.
- Trop petit pour l'export ?
- A l'affût des marchés
- Les projets bailleurs
- Répondre à temps... et à plusieurs ?
- Innovation et agilité
- Limiter la lourdeur administrative
- Et demain...
1. Trop petit pour l'export ?
D’où une volonté assumée des représentants de la filière d’inciter au développement international pour trouver des relais de croissance[1]. Car les marchés européens et grand export continuent d’investir massivement dans des chantiers d’équipements ou de modernisation : en Europe, les projets emblématiques HS2 (Royaume-Uni) ou Rail Baltica (pays baltes) côtoient des chantiers de rénovation (en Allemagne par exemple) ou d’installation de matériels légers (en Italie par exemple). Tandis qu’au Maghreb, aux Etats-Unis, au Moyen Orient, en Amérique latine ou en Asie, la diversité des projets d’infrastructures et de matériels créent un appel d’air pour l’ingénierie et la construction française… y compris pour les entreprises de petite taille. « L’export n’a rien à voir avec la taille, affirme Pascal Pin. On a des entreprises de niche qui se sont déployées dès le début à l’export. Il ne faut pas considérer l’export uniquement sous l’angle des longs projets d’installation : on peut aussi réaliser des ventes depuis la France ».
Une problématique fréquemment soulevée dans le domaine du ferroviaire où le paysage s’organise autour d’un tissu de PME souvent familiales et spécialisées. « Cette extrême spécialisation a conduit à un modèle de sous-traitance plutôt que d’acquisitions », explique Luc Aliadière, conseiller Affaires Européennes à la Fédération des Industries Ferroviaires (FIF). D’où une tendance historique de ces entreprises à rester sur le marché national plutôt que de tenter l’aventure à l’export[2]. « Les entreprises du secteur ont désormais besoin de rompre avec une certaine dépendance à la commande publique pour lisser leurs courbes d’activité à moyen et long terme », confirme-t-il.
2. A l'affût des marchés
Pour combattre ce morcèlement, les clusters s’organisent. Depuis quelques mois, MIPIRAIL a ainsi installé des commerciaux en temps partagé aux Emirats Arabes Unis. Objectif : sourcer les appels d’offres et promouvoir les entreprises du cluster dans la région via des salons et rencontres professionnelles. « Le ciblage des marchés est devenu un enjeu clé, confirme Pascal Pin. Au Maroc par exemple, on connaît de mieux en mieux les besoins, notamment sur la maintenance. A ce titre, on attend la parution des plans nationaux de relance pour cibler les pays qui font du ferroviaire un enjeu majeur. ». Un travail également effectué par les bureaux pays de Business France qui relaient les actualités via les fiches Où Exporter ou la Lettre de Veille internationale Ferroviaire.
Ciblage, stratégie… une vision proactive confirmée du côté de SYSTRA : « Avant les années 2010, nous avions une logique opportuniste de réponses aux appels d’offres ; désormais, nous polarisons nos efforts sur certaines zones à fort potentiel comme l’Inde, les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou encore le Canada, la Suède et le Brésil » explique Sarah Madjedi.
Au sein du département des offres internationales de SYSTRA, elle coordonne une équipe qui aide à monter les dossiers de réponses à appels d’offres. « Pour la veille, nous nous appuyons sur nos commerciaux en local qui se tiennent au courant de ce qui devrait sortir. Mais aussi sur les sites internet de nos prospects et clients, ainsi que sur des sites spécialisés dans la veille ».
3. Les projets bailleurs
Dans ce travail d’identification, les projets des bailleurs internationaux (AFD, BAD, Banque mondiale…) occupent une place à part : l’importance de s’y connecter en deux temps est souvent rappelée. « La phase projet (amont de l’appel d’offre) doit permettre la rencontre des bailleurs de fonds, c’est-à-dire les financeurs, et le lancement des appels d’offres est propice à la rencontre avec les agences d’exécution, c’est-à-dire les ministères locaux », explique-t-on au service OIBF[3] de Business France. Via son outil PROAO, ce dernier permet d’ailleurs aux entreprises du secteur de disposer d’un système de veille et d’alerting complet sur tous les appels d’offres relevant des bailleurs internationaux.
4. Répondre à temps... et à plusieurs ?
Le timing : dans le processus de réponse aux appels d’offres, il est souvent considéré comme clé. Car entre la parution de l’appel d’offres et la date butoir de réponse, il n’y a souvent que deux ou trois mois de délai. « Il vaut mieux être au courant des projets avant que l’appel d’offres ne sorte, explique Sarah Madjedi. Car cela laisse le temps d’entrer dans une logique de partenariat et de boucler une proposition commune avant d’entrer dans la phase de réponse ». Le critère de « local content » est notamment soigneusement étudié : « Si le projet exige d’ouvrir un établissement dans le pays, on peut le contourner par la recherche d’un partenaire sur place ».
Mais les partenariats se scellent surtout entre acteurs complémentaires et Pascal Pin plaide alors pour une certaine solidarité nationale en la matière : « Fer de France et les ingénieristes français ont un rôle à jouer pour aider à la constitution de consortiums nationaux et permettre à des PME de s’insérer sur ces projets : la recherche d’équipementiers ou d’entreprises innovantes est toujours un enjeu de la réponse à ces appels d’offres ».
5. Innovation et agilité
Une analyse confirmée par Luc Aliadière de la FIF : « L’objectif est de ne plus travailler en client-fournisseur, mais bien en partenariat industriel pour impulser davantage d’innovation dans les projets proposés ». A ce titre le projet Digital Open Lab de collaboration entre plusieurs acteurs du secteur – dont des start-up – pour accélérer la digitalisation du réseau a force d’exemple. « La France a un enjeu d’image en matière ferroviaire : si elle bénéficie d’une réputation internationale d’expertise en matière d’ingénierie, elle a moins d’innovations à présenter depuis quelques années. Les solutions proposées par les PME et start-up, en partenariat industriel avec de grands donneurs d’ordre, pourraient lui permettre de reprendre la main sur ces questions ». Le 29 janvier 2019, le projet CARE[4] a ainsi vu le jour dans les Hauts de France pour « améliorer la performance industrielle et la compétitivité des TPE, PME et ETI dans la supply chain ferroviaire[5] ».
Convaincre par l’innovation… « C’est un levier d’export », confirme Pascal Pin. Mais « pas seulement » pour Sarah Madjedi de SYSTRA : « Pour moi, un grand facteur clé de succès pour les appels d’offres, c’est la capacité à s’adapter très rapidement aux contraintes locales, à pouvoir s’organiser et recruter rapidement en fonction du projet et des dispositions RH locales. Les clients sont assez exigeants et il faut savoir faire preuve d’agilité ».
6. Limiter la lourdeur administrative
Car une fois l’appel d’offres remporté, il faudra pouvoir répondre aux enjeux opérationnels et administratifs d’un projet… « Pour les PME, c’est souvent un investissement assez lourd », reconnaît Pascal Pin. « Elles n’ont pas forcément la structure pour consacrer des ressources ou du temps à un projet export. D’où l’intérêt de partir à plusieurs et de solliciter des aides financières du côté des régions ». Si le temps fait parfois défaut pour remplir les dossiers de subventions ou les réponses aux appels d’offres, les clusters[6] doivent permettre d’accompagner et conseiller les aspirants exportateurs.
Et, du côté des appels d’offres, certaines optimisations sont également envisageables : « D’un point de vue administratif, les appels d’offres au Maroc ou en Algérie réclament à peu près les mêmes types de pièces qu’en France : c’est donc plus facile de se tourner vers ces destinations que vers des zones comme l’Inde ou l’Amérique du Sud où le dossier administratif est plus conséquent et complexe » signale Sarah Madjedi.
7. Et demain…
Pour l’heure, alors que les chantiers d’installation reprennent progressivement – tout comme le transport de voyageurs – les perspectives long terme à l’export sont encore sur une ligne de crête : « On est actuellement dans un mouvement de balancier entre l’enjeu environnemental – qui tend à faire du ferroviaire un levier de croissance long terme – et l’impératif de sauvegarde de l’emploi et du transport de masse, qui peuvent amener à un fléchage des investissements sur d’autres secteurs, analyse Pascal Pin. Le ferroviaire français a besoin de communiquer sur ses innovations et sur les enjeux que représentent des sujets comme le fret, le transport urbain ou l’extension du milieu rural. Même si cela va prendre du temps, nous sommes désormais dans un export offensif ».