Au printemps 2020, alors que l’épidémie de COVID-19 bat son plein en Europe, la région allemande de la Basse-Saxe annonce commander à Alstom 41 nouveaux trains de son modèle à hydrogène Coradia iLint. Une décision qui vient saluer l’innovation environnementale que représente ce nouveau train : « Le train à hydrogène Coradia iLint est un train zéro émission fiable, prêt à nous transporter vers une Europe au bilan carbone neutre » déclare ainsi Bernard Belvaux, Directeur général d’Alstom Benelux, dans un communiqué. Car, appuyé sur un système de pile à combustibles, il permet de combiner oxygène et hydrogène pour générer de l’électricité sans émissions polluantes. Son lancement en 2018 en Allemagne a constitué une première mondiale.
- Construire un avantage compétitif
- Train autonome
- Fret : téléconduite et digitalisation
- IOT et Big Data pour modéliser le réel
- Un écosystème train du futur
- Hyperloop et Maglev : la quête de la vitesse
- Train à hydrogène
- Décarboner le rail : le train à batterie ?
- Le train du futur, débouché de nombreuses filières
1. CONSTRUIRE UN AVANTAGE COMPÉTITIF
La France, championne de l’innovation ferroviaire ? « Nous avons un niveau de technicité élevé qui nous permet de prétendre aux avant-postes sur les thématiques Train du Futur », confirme Éric Tregoat, directeur du pôle de compétitivité i-Trans et de l’Institut de Recherche Technologique (IRT) Railenium. Son objectif à travers les travaux de l’institut ? Développer des briques technologiques innovantes à destination de la filière, qui permettront aux opérateurs français de proposer des offres à la pointe en France et à l’international. « Si nous avons pu accéder au projet de création du métro automatique de Riyad, c’est parce que nous maîtrisions déjà la technologie en amont ».
2. TRAIN AUTONOME
Le champ d’études de Railenium couvre d’ailleurs un large spectre, de la digitalisation des équipements à la modélisation des usages et systèmes.
Mais un élément moteur de sa feuille de route reste le train autonome. « Sur le train autonome, la France est un des pays les plus avancés et notre objectif est de l’amener à un niveau d’automatisation de type 4 ».
Grade of automation 4… soit la capacité d’un train à la prise de décision face à toutes les situations[1] : « A la différence d’un métro automatique qui fonctionne sur un trajet préétabli et systématique, le train autonome est amené à circuler sur tous trajets du réseau ferré, sur voie ouverte (sans barrière de protection contre l’intrusion) et avec mixité de circulations de tous types de trains. Nous explorons le recours à l’intelligence artificielle couplée à un ensemble de technologies de capteurs pour permettre l’anticipation et la réaction face à toutes les situations, provenant soit de l’interne ou de l’environnement du train ».
L’enjeu est donc à la fois celui de la fiabilité et de l’optimisation des transports. Car l’automatisation avancée permettrait un pilotage au plus fin qui autoriserait une augmentation des cadences et une amélioration de la ponctualité. « L’avantage avec le train autonome est aussi celui du coût de l’investissement : vous n’avez pas besoin de changer votre infrastructure ou votre matériel roulant. Il faut simplement l’équiper de capteurs et équipements de conduite » précise Éric Tregoat. D’où un travail engagé avec l’écosystème technologique pour proposer ces innovations de rupture : « Au sein de Railenium, nous avons notamment embarqué la start-up SpirOps, spécialisée en IA et nous observons également ce qui se fait du côté de la voiture autonome – même si les enjeux d’anticipation ne sont pas les mêmes vu les différences importantes de distance de freinage »
Le programme de cinq ans piloté conjointement par la SNCF[2] et par Railenium prévoit ainsi deux démonstrateurs : un pour la partie Fret, un autre pour les voyageurs, avec un coût global de 57 millions d’euros[3] et une date de livraison estimée à 2023. Mais attention : « même si cette technologie commence à exister à partir de 2023, il faudra une longue transition entre 2030 et 2050 pour équiper le parc ferroviaire français et international » prévient Éric Tregoat. Dans ce but, une coordination à l’échelle internationale autour de SNCF et de la Deutsche Bahn s’est mise en place, notamment pour aligner les futures normes.
3. FRET : TÉLÉCONDUITE ET DIGITALISATION
En attendant, des niveaux intermédiaires d’automatisation sont expérimentés : « Dans le fret, nous développons la téléconduite à distance qui permet de prendre le contrôle du train pour l’acheminer en gare ou en atelier ».
Et ce n’est pas le seul sujet d’innovation concernant le fret : « Sur l’axe digital, nous sommes également très actifs, avec une implication dans le plan 4F[4] qui vise à doubler d’ici dix ans la part de marchandises transportées par voie ferroviaire ». Au cœur de ces travaux budgétés à hauteur d’1 milliard d’euros (dont 150 millions de R&I) : des outils de traçabilité sur les marchandises, des systèmes de vérification de l’état des machines ou encore des travaux sur le transport combiné. « La numérisation devrait permettre de gagner du temps et de rendre le fret plus attractif », confirme Éric Tregoat.
4. IOT ET BIG DATA POUR MODÉLISER LE RÉEL
Des enjeux de digitalisation qui touchent également le transport de voyageurs : « L’objectif est de parvenir à modéliser le réel pour offrir le service le plus adéquat possible avec les besoins des passagers et l’état du réseau ». Les chantiers envisagés sont alors nombreux : « On travaille autant sur le monitoring du réseau et la maintenance prédictive (grâce à l’IoT) que sur l’optimisation du dimensionnement passagers ou la numérisation de certains tests et certifications ». Une recherche numérique qui s’étend parfois à l’expérience du passager, avec de nouveaux services de connectivité ou d’ergonomie proposés (ex : utilisation des vitres pour la diffusion de contenus).
5. UN ÉCOSYSTÈME « TRAIN DU FUTUR »
Train autonome, digitalisation des équipements… le ferroviaire est résolument entré dans l’ère technologique et assume son virage : « Depuis 2015, l’innovation française travaille d’arrache-pied sur ces questions après dix années un peu plus calmes ». Et la création du Digital Open Lab, organe de collaboration entre acteurs du secteur (dont des start-up) manifeste la volonté de faire travailler ensemble tout un écosystème. « Si l’on considère uniquement Railenium, ce qui attire généralement les acteurs, c’est la capacité à accéder à des compétences de haut niveau et des moyens de R&I mutualisés », confie Éric Tregoat.
6. HYPERLOOP ET MAGLEV : LA QUÊTE DE LA VITESSE
Car la concurrence entre projets « Train du Futur » commence à voir le jour à échelle internationale. Et certains projets comme l’Hyperloop d’Elon Musk ou les derniers nés des trains Maglev attirent particulièrement l’œil. Leur prisme : un travail sur la vitesse de pointe, avec des pics à 500 ou 600km/h pour les Maglev et 1100 km/h pour l’Hyperloop. Ces projets très médiatiques sont cependant encore à l’état de développement et, à part pour le JR Maglev japonais (ligne Tokyo-Nagoya) annoncé pour 2027, aucune date de sortie n’est encore vraiment confirmée pour les autres (le Maglev chinois de CRRC étant présenté comme un prototype entre Pékin et Shanghai). Côté Hyperloop, l’annonce du projet en 2013 tarde à trouver sa concrétisation, même si des constructeurs comme Transpod et Hyperloop Transportation Technologies lancent des expérimentations sur le sol français.
7. TRAIN À HYDROGÈNE
Par conséquent, l’Europe a tendance à se tourner davantage vers l’objectif environnemental, porté par le Green New Deal de la Commission Européenne et son volet financier Horizon Europe qui y inclut l’innovation ferroviaire.
Symbole de cette politique : le train à hydrogène. « Mais attention, prévient Éric Tregoat, l’hydrogène ne suffit pas à assurer la neutralité carbone : il faut vérifier qu’il provient bien d’énergies renouvelables ». Des avancées concrétisées en Allemagne qui ouvrent le champ à d’autres territoires, sous réserve d’adaptations à l’infrastructure bimode : en France, la SNCF s’est engagée à faire circuler une mini flotte d’une quinzaine de trains dans six régions d’ici 2022. Et le récent appel à manifestation d’intérêt du Ministère de la Transition Écologique (doté de 22 millions d’euros) renforce l’idée d’une ambition française sur cette question.
Mais ce n’est pas la seule. « D’autres mécanismes comme l’efficacité énergétique ou l’optimisation des data énergétiques sont à l’œuvre pour réduire les consommations », note Éric Tregoat. Mais l’enjeu principal reste l’alternative au diesel.
8. DÉCARBONER LE RAIL : LE TRAIN À BATTERIE ?
Car, avec un quart du parc ferroviaire français encore 100% diesel, les constructeurs ressentent le besoin d’accélérer sur la technologie à batterie. Les modèles hybrides (diesel, caténaire, batterie) comme le TER hybride Régiolis dont le lancement est prévu pour 2022 apportent une première réponse. Mais c’est surtout le 100% batterie, porté notamment par Bombardier, qui soulève de nombreux espoirs… Le 5 février dernier, Alstom annonçait ainsi un contrat signé en Allemagne pour fabriquer et maintenir des trains à batterie sur la ligne Leipzig-Chemnitz à partir de 2023. Restera alors à résoudre l’épineuse problématique du temps de recharge et de sa fréquence…
9. LE TRAIN DU FUTUR, DÉBOUCHÉ DE NOMBREUSES FILIÈRES
Le Train du Futur à la française se construit donc à la frontière entre transition énergétique et transformation digitale. Avec à chaque fois, une hybridation des compétences entre industrie ferroviaire et spécialités tech ou environnementales. Dans son contrat 2019, le Comité stratégique de filière indiquait ainsi qu’« Alstom s’engage à privilégier des solutions apportées par des fournisseurs français dans la mesure où celles-ci s’avèrent compétitives sur le marché ». Il évoquait alors la filière hydrogène… Avant, un peu plus loin, de reprendre le même intitulé pour Bombardier et son train à batterie, débouché probable de la filière lithium-ion.
… Le Train du Futur serait-il le futur des filières tech et environnementales ?