En Thaïlande comme en Australie et plus globalement sur toute la zone ASEAN, le recul de la menace COVID s’accompagne d’un retour progressif à la normale sur le front des affaires : outre le tourisme qui devrait profiter d’une saison estivale quasi-pleine, l’événementiel voit les salons ­clés de la région reprendre du service.

Dans le secteur des cosmétiques, le mois de novembre marquera ainsi le retour des grand­messes In­-Cosmetics Asia (Bangkok) et Cosmoprof (délocalisé à Singapour plutôt que Hong Kong), sans oublier, en septembre, la première édition du dernier-né de la famille Cosmoprof, Cosmoprof CBE à Bangkok. « Cette diversité des salons met l’accent sur l’immense potentiel de la région et sur son ouverture marquée aux produits finis, en plus du traditionnel import d’ingrédients », souligne Estelle David, directrice pays Thaïlande et coordinatrice santé ASEAN Océanie pour Business France. « Par­dessus tout, ces salons seront l’occasion de témoigner de la montée en flèche de certains pays comme l’Indonésie, la Malaisie ou la Thaïlande ».

 

  1. Un quasi-triplement des consommateurs potentiels
  2. L'éveil du marché indonésien
  3. Le Made In France en force - ingrédients et produits finis
  4. Clean Beauty, Beauty tech, cosmétiques hommes...
  5. Une distribution en multicanal
  6. Une destination prioritaire

 

 

UN QUASI-TRIPLEMENT DES CONSOMMATEURS POTENTIELS

Car la crise sanitaire n’a pas freiné la lame de fond que représente la consommation cosmétique dans la région : si le marché total s’élevait à 29 milliards d’euros en 2021 (un chiffre déjà légèrement supérieur à celui de 2019 : 28,7 milliards), il devrait carrément exploser à 40,6 milliards en 2026. Dans une région qui concentre 6% du PIB mondial et une population totale de 690 millions d’habitants, l’ascension rapide de la classe moyenne explique en grande partie ce phénomène : « En 2010, on estimait cette classe moyenne à 172 millions de personnes ; en 2030, on la prévoit à 454 millions », signale Estelle David. Soit un quasi-triplement de consommateurs potentiels, avec en haut de la pyramide une classe aisée émergente de 40 millions d’individus. « Pour des produits comme les dermo-cosmétiques, l’effet de traction de cette élite est important, notamment au regard du climat et de l’alimentation de la région qui occasionnent davantage de problèmes de peau comme l’acné ou l’eczéma », explique Estelle David.

Pour cette classe moyenne soucieuse de son image et de son hygiène, l’importance culturelle des cosmétiques s’incarne essentiellement dans les rituels quotidiens de douche (une à deux fois par jour) ou de shampooing (une fois par jour) mais aussi dans l’application quotidienne de crème solaire pour préserver la clarté de la peau, symbole d’un certain statut social. « Les produits cosmétiques ont toujours été prisés dans la zone, mais l’influence des réseaux sociaux et de la K-pop voisine tendent à créer de nouveaux besoins esthétiques », observe Estelle David. Outre les produits anti-âge qui tentent de conjurer le vieillissement acté de la population, les procédures esthétiques de type Botox ou injections d’acide hyaluronique s’imposent de plus en plus précocement (en Malaisie, elles peuvent être offertes dès l’âge de seize ans lors de « filler parties » !). De quoi ouvrir quelques perspectives pour les acteurs spécialisés dans les cosmétiques post-opératoires

 

L’ÉVEIL DU MARCHÉ INDONÉSIEN

Si cet attrait pour les produits cosmétiques se manifeste sur tout le territoire, certains pays semblent plus particulièrement captifs : « L’Indonésie est le plus gros pôle d’accélération avec un marché qui devrait passer de 5,6 milliards en 2020 à 8,9 milliards en 2025. En 2021, l’archipel est d’ailleurs devenu le premier marché en valeur de l’ASEAN devant la Thaïlande ». Outre ce géant en construction, la Thaïlande continue de truster les premières places par l’ampleur de sa population et l’importance de son tourisme, tandis que la Malaisie et Singapour s’imposent comme les deux plus gros paniers moyens par foyer en 2021. Quant à l’Australie, elle reste la valeur sûre de toute la zone ASEAN et Océanie avec un panier annuel moyen par foyer de 706 euros par an (estimé à 811 euros en 2026).

« Ce qu’il faut noter parmi cet éventail de pays, c’est que certains comme la Thaïlande et l’Indonésie sont aussi de gros producteurs, à la fois en marques propres et en private label pour des marques locales et internationales », témoigne Estelle David. D’où de nombreuses opportunités pour les fournisseurs d’ingrédients ou de formulation tricolores, sur des segments bien souvent naturels ou innovants. « Malgré les incitations du gouvernement à sourcer les matières premières en local, la plupart des industriels continuent à se fournir en Occident pour des raisons marketing : les industriels sont montés en gamme pour satisfaire des besoins plus niche et premium, notamment des lancements de marques par des célébrités locales ou des groupes de cliniques ».

 

LE MADE IN FRANCE EN FORCE – INGRÉDIENTS ET PRODUITS FINIS

Ce développement de la production sur le sol local est d’ailleurs l’un des marqueurs de la présence française en ASEAN : outre l’implantation de grands groupes comme L’Oréal[1] dans les années 2010, de nombreuses ETI de parfumerie et arômes y ont établi des usines, que ce soit en Indonésie (Sozio, Mane) ou en Thaïlande (Jean Niel, Argeville). « Ces deux pays produisent bien souvent selon les normes halal[2], ce qui permet ensuite d’exporter sur toute la zone Asie Pacifique », signale Estelle David. Une particularité – le halal – qui est un pré-requis important pour exister sur le marché même si la législation n'est pas harmonisée d’un pays à l’autre. « Sur ce point, nous recommandons de passer par des organismes comme l’Halal Certification Services en Suisse ou l’Halal Food Council of Europe dont les certifications peuvent être reconnues sur plusieurs pays de la zone ».

Mais la présence française ne se matérialise pas uniquement par l’ingrédient et la localisation de la production : de nombreuses success stories tricolores émergent depuis quelques années sur l’aval de la chaîne de valeur – produits finis et soins. Des entreprises de cosmétiques bio et naturelles (Sicobel, Huygens), vegan (Anne Simonin), marines (Thalion) ou encore des instituts de soins personnalisés (Biologique Recherche) ont ainsi exporté avec succès dans la zone, faisant monter à 11% la part de l’ASEAN dans les exportations cosmétiques françaises. La France se situe ainsi dans le top 3 des acteurs cosmétiques de la région, avec une première place solide sur le parfum. « Mais attention, signale Estelle David, les américains et les coréens sont des rivaux très dynamiques et il ne faudrait pas perdre des parts de marché par faiblesse marketing ou retard de positionnement sur des marchés d’avenir comme l’Indonésie ».

 

CLEAN BEAUTY, BEAUTY TECH, COSMÉTIQUES HOMMES…

Les exportateurs sont donc prévenus : le potentiel de l’ASEAN se gagne dès à présent sur les tendances phares que sont la clean beauty, la beauty tech ou encore les cosmétiques pour hommes. « Le ‘naturel’ est un gros segment, confirme Estelle David. Les labels Ecocert, cruelty free ou vegan sont de plus en plus sollicités et la pandémie de COVID-19 a accentué le désir d’information des consommateurs sur la provenance et la formulation des produits ». Une prudence des consommateurs qui s’incarne également dans la hausse observée des produits d’hygiène comme les savons ou les gels douche. Enfin, sur le segment Beauty Tech, c’est la personnalisation des diagnostics et des soins qui semble attirer des jeunes générations avides de se démarquer et de trouver des cosmétiques qui leur ressemblent. « Sur ce marché du diagnostic personnalisé, l’exemple de Biologique Recherche est éloquent : après l’installation d’instituts dans chacun des pays de la zone, la marque a également décidé d’ouvrir un établissement dédié à Bangkok sous le label Ambassade de la beauté », cite Estelle David.

 

UNE DISTRIBUTON EN MULTICANAL

Une place à conquérir en marque propre donc… mais pas forcément en solitaire. « Pour accéder à ces marchés, impossible de se passer d’un importateur : l’enregistrement via une entreprise disposant d’une licence d’importation est obligatoire et le fléchage vers les réseaux de distribution est souvent plus efficace quand on est accompagné ». Des parapharmacies aux chaînes de magasins spécialisés (Sephora[3], Sasa, Sothys) en passant par les canaux e-commerce (les généralistes Shopee et Lazada ou le spécialiste beauté Hermo) ou les grands malls de Sukhumvit Road (Bangkok) ou Mid Valley City (Kuala Lumpur), la multicanalité ne manque pas pour atteindre les consommateurs finaux

D’où un besoin de ciblage stratégique : « Pour des dermo-cosmétiques, on recommandera les parapharmacies ou les supermarchés premium ; en revanche pour des soins esthétiques post­opératoires, mieux vaut creuser du côté des cliniques et hôpitaux privés ». En effet, la médecine de ville étant surtout implantée dans les hôpitaux, les achats sous prescriptions s’effectuent directement au cœur des établissements.

En parallèle, sur le versant online, l’accélération due à la crise sanitaire se confirme avec, comme partout ailleurs, la nécessité de se positionner sur des activations hybrides physiques et digitales dont les influenceurs sont souvent les premiers porte-étendards – essentiellement sur Facebook et Instagram. « Et puis, il ne faut pas minimiser le social commerce avec de plus en plus de ventes effectuées via les applis de messagerie comme LINE, équivalent local de Whatsapp », signale Estelle David.

 

UNE DESTINATION PRIORITAIRE

Troisième région la plus dynamique au monde après la Chine et l’Inde (+3% de croissance totale), l’ASEAN est donc une destination de choix pour les exportateurs français de cosmétiques. Si la Thaïlande et l’Indonésie sont encore soumises à des droits de douane importants, le marché régional s’ouvre de plus en plus avec le récent accord de libre-échange signé avec le Vietnam et le « zéro droit de douane » appliqué en Malaisie et à Singapour. « En cette période de reprise post-COVID, les consommateurs sont à l’affût de nouvelles marques et d’ingrédients innovants : la Thaïlande, Singapour et la Malaisie sont des destinations prioritaires mais il faudra également compter avec l’Indonésie qui s’annonce comme le géant de demain ». Les marques françaises se saisiront-elles du marché ? Début de réponse en novembre prochain avec Cosmoprof et In-Cosmetics.

 


 

[1] En 2012, le groupe français a inauguré sa plus grande usine mondiale à Jababeka, dans la banlieue Est de Jakarta, Indonésie.
[2] Sans ingrédient d’origine animale « impure » ni d’alcool. En pratique, les cosmétiques halal n’ont pas d’alcool ni de graisse porcine (et plus largement pas de graisse d’origine animale)
[3] Près du centre de Kuala Lumpur, le magasin Fahrenheit 88 de la marque tricolore est le plus grand au monde.