Ils souffrent parfois de la comparaison avec leurs voisins d’Asie du Nord ou d’Europe de l’Ouest mais, en cette période de relance post-COVID, ils pourraient bien être les marchés-clés de la reprise. « Quand ils vont rouvrir, ça va aller très vite », confie Estelle David, coordinatrice Art de vivre pour Business France sur la région ASEAN et Océanie. « Les salaires ont augmenté même en temps de crise et il n’y a pas eu de comportement écureuil : l’effet de compensation sera immédiat », appuie son homologue dans les pays d’Europe continentale et orientale (ECO), François Matraire.
UNE CONSOMMATION EN PLEIN BOOM
Eux, ce sont une dizaine de marchés au pouvoir d’achat grandissant et à l’accès notoirement fluide pour les produits européens : Vietnam, Thaïlande, Malaisie, Singapour et Australie pour la zone Asie/Océanie, Pologne, République Tchèque, Roumanie, Ukraine et Hongrie pour la zone Europe. Dix pays aussi hétérogènes que structurellement convergents pour les exportations françaises : « Il y a dans les métropoles de ces pays des niveaux de développement très avancés avec une classe moyenne qui explose[1] et qui consomme de plus en plus, que ce soit du prêt-à-porter luxe (croissance à deux chiffres en Malaisie et en Thaïlande) ou moyenne gamme - casual chic, luxe accessible, streetwear ». En témoignent les marques françaises comme Maje, The Kooples, Decathlon, Petit Bateau ou encore Les Georgettes qui cartonnent sur ces marchés. « Auparavant, les consommateurs aisés de ces pays avaient tendance à voyager et faire leurs achats dans les duty free des aéroports ou directement dans les grandes capitales qu’ils visitaient. Désormais – et c’est un phénomène accentué par la crise du COVID-19 – il y a tout un pan de consommation ‘à domicile’ qui se structure et offre des opportunités pour les marques distribuées en local », analyse Français Matraire.
Dans ces pays où la mode est un phénomène plus ou moins récent – seules la Thaïlande, l’Australie, la Pologne et l’Ukraine peuvent faire valoir un tissu historique de créateurs – l’importance du paraître donnera toujours un avantage aux marques internationales reconnues. Mais des groupes de distribution comme le thaïlandais Central restent à l’affut d’enseignes plus niches (luxe accessible bien souvent) qui savent adapter leurs produits au climat local, au propre comme au figuré, ou qui s’associent avec une marque nationale pour des éditions limitées. Les segments d’athleisure (casual sportif porté au travail) ou de vêtements personnalisés (imprimé, message) ont particulièrement le vent en poupe en Asie ; tandis qu’en Europe de l’Est, c’est la mode Enfant qui constitue un pool d’opportunités bienvenu pour les exportateurs français. « La clientèle est de plus en plus mature et exigeante, confirme François Matraire. Dans des pays comme la Pologne, il ne faut pas hésiter à cibler des segments niche et premium ».
… MAIS GUIDÉE PAR UNE QUÊTE DE SENS
Mais l’évolution des mentalités de la classe moyenne vers davantage de durabilité et moins de consumérisme polarise l’attention vers des marques à forte résonance écoresponsable. « Derrière écoresponsabilité, on entend à la fois les matériaux de fabrication, les packagings et, de plus en plus, la dimension locale ou la seconde main » signale Estelle David qui voit le phénomène exploser en Australie et à Singapour. « Les populations d’Europe continentale et orientale développent des aspirations environnementales fortes et une vraie quête de sens - comme pour compenser les retards pris par leurs gouvernements en la matière », estime François Matraire. 25% des Polonais achètent ainsi en new second hand[2], dans un pays où le lituanien Vinted est en pleine ascension ; même constat avec l’un des leaders nationaux du secteur, LPP (1700 magasins), qui dédie désormais 25% de sa production à sa gamme eco-aware. Et partout dans la zone ECO, des fashion care clinics se multiplient pour réparer et recycler les pièces usagées.
MARKETING DIGITAL ET E-COMMERCE AU CŒUR DE LA DISTRIBUTION
« Les marques françaises ont leur place sur ces segments car, bien sûr, les produits français jouissent d’une très bonne réputation en termes de design ; mais c’est vraiment sur le marketing qu’il faut se mobiliser davantage », avertit Estelle David. Culture du mall en Asie[3], revitalisation des enseignes de rue en Europe… Si les deux marchés offrent des paysages de distribution contrastés, entre concept stores / department stores en Asie et boutiques en propre multimarques en Europe, ils concluent à la même stratégie : accompagner pas à pas l’importateur/distributeur pour installer et faire rayonner la marque. « Il faut prendre le temps de raconter son histoire et de s’intéresser aux codes locaux, avertit François Matraire. Ne pas copier-coller la communication parisienne en se disant que le Made in France fera office de laissez-passer ». En Asie Pacifique, le groupe Lacoste s’est ainsi offert les services de Z.Tao, chanteur chinois de K-Pop, pour porter l’image du crocodile. Et les campagnes influenceurs sur les réseaux sociaux battent leur plein : « Dans un pays comme la Thaïlande où les populations sont connectées 7h par jour, il faut réserver 80% de son budget marketing pour recruter sur Facebook ou Instagram », témoigne Estelle David. Avec pour conséquence : la nécessité de fournir régulièrement des contenus social média localisés.
Cet appel d’air du digital se confirme avec l’explosion du e-commerce. « Il y a bien sûr une accélération induite par la crise sanitaire mais la tendance était déjà en germe dans la zone ECO, très early-adopter sur les tendances tech : en 2019, le e-commerce représentait déjà 22% du marché de la mode – un chiffre porté à 25% en 2020 », signale François Matraire. En octobre 2020, le géant polonais de l’e-commerce à prix réduit, Allegro, a ainsi fait son entrée en Bourse avec une capitalisation de 15 milliards d’euros, record historique de l’histoire nationale pour un premier jour de cotation. Et en Roumanie où le e-commerce atteint 29,5% du secteur de la mode, c’est Fashion Days, filiale du groupe eMag (leader du e-Commerce en Roumanie, Hongrie et Bulgarie), qui a fait preuve d’un élan de solidarité très remarqué pendant la pandémie en offrant aux boutiques momentanément fermées des espaces de vente en digital.
« Le e-commerce fashion a connu une croissance de +25% en 2020 », confirme Estelle David sur sa zone ASEAN. « C’est principalement via le click and collect sur les e-shops des grands magasins ou directement sur les sites en propre que se font les ventes ». Particularité des pays de la zone ASEAN : le développement de services client digitaux, comme le stylisme en ligne ou l’essayage en réalité augmentée. Une tendance qui ne masque pas la primeur encore tenace du commerce physique sur le secteur : « En Ukraine et en Roumanie, on a vu des retailers en ligne proposer de passer chez les clients pour faire des essayages à domicile », s’amuse François Matraire.
« UN INVESTISSEMENT DANS UN AVENIR PROCHE »
Des opportunités qui s’ouvrent donc pour tout un pan de marques – niche ou moins niche – de la French Touch. « Mais il va falloir accentuer la réactivité sur ces marchés car la concurrence est déjà à l’affût » avertit Estelle David. Japonaise et coréenne sur les marchés de l’ASEAN, italienne et scandinave en Europe de l’Est : à la réouverture post-COVID, ces acteurs pourraient facilement profiter de l’effet rebond. D’autant que d’autres opportunités de marché se profilent : « Au Vietnam, la signature d’un accord de libre-échange avec l’Union Européenne le 1er aout dernier devrait porter les droits de douane de 20% à zéro dans les mois qui viennent… autant dire une aubaine, sachant que Singapour est déjà à zéro, et la Malaisie à 10% ».
Un contexte de veillée d’armes donc, qui doit être temporisé : « Le message que l’on passe aux exportateurs français, c’est d’inscrire ces pays dans le viseur et de commencer à prendre des contacts, suggère Estelle David. Pour l’instant, il est fort peu probable que les distributeurs prennent de nouvelles marques dans leur catalogue, mais c’est un investissement pour l’avenir proche, sachant que les pays de la zone ASEAN et Australie pratiquent la stratégie zéro COVID qui limite en interne les restrictions, notamment sur la consommation ». Analyse équivalente en Europe de l’Est où la stratégie COVID est pourtant radicalement différente : « Les distributeurs ont effectivement tendance à attendre, mais il y a une vraie curiosité car ils n’ont pas pu aller aux Fashion Weeks européennes et sont friands de découvertes, y compris en prospection digitale », signale François Matraire.
A l’été prochain, les entreprises françaises pourront s’afficher sur la vitrine digitale French Fashion Corner de la Team France Export afin d’exposer leurs produits à l’attention des distributeurs asiatiques. Puis ce sera le tour de la zone ECO l’année prochaine. « Se faire référencer sur des plateformes digitales est déjà un premier pas pour les entreprises ; elles pourront ainsi tester tout le potentiel d’attractivité de ces zones qui proposent à la fois des volumes de vente, du pouvoir d’achat et une facilité d’accès au marché », conclut François Matraire. « Dans un contexte où les grands pays risquent d’être saturés dès la reprise, c’est probablement un pari gagnant d’aller s’y positionner en amont ».