À la fin du mois de novembre 2022, comme tous les ans, l’UNESCO devrait publier la liste des « pratiques et expressions culturelles » qui feront leur entrée au patrimoine immatériel de l’Humanité. Et cette année, la sélection devrait être particulièrement scrutée par les professionnels du secteur Boulangerie-Viennoiserie-Pâtisserie français qui ont activement poussé en faveur de la candidature de la baguette française. « Nous sommes très fiers que la baguette de pain ait été retenue par le Ministère de la Culture pour représenter la France, se réjouit Dominique Anract, président de la Confédération nationale de la Boulangerie-Pâtisserie française (CNBPF). Si l’inscription à l’UNESCO est effectivement décidée, elle sera une opportunité de mettre en avant le savoir-faire ancestral de nos artisans, entre pétrissage lent et fermentation, et d’assurer un rayonnement à l’international en protégeant la qualité du produit et du processus de fabrication ».
Sommaire
L’export, nouveau terrain de jeu de la bvp française
Chine et états-unis à la découverte des traditions françaises
La rhd, fer de lance dans les nouveaux marchés porteurs
Une recherche de qualité et de durabilité
L'Europe, marché naturel des exportations françaises
Le made in france tiré par des leaders industriels
Repenser le pricing à l’heure de l’inflation ?
L’EXPORT, NOUVEAU TERRAIN DE JEU DE LA BVP FRANÇAISE
Car l’international est désormais un terrain de jeu en pleine expansion pour les acteurs du secteur, à l’heure où les habitudes de consommation tendent à se modifier sur le territoire national. Avec trois fois moins de pain consommé que dans les années 1950, les Français ont en effet tendance à se tourner plutôt vers les produits de snacking et les pains spéciaux. « Depuis 2016, les exportations ont pris une place grandissante dans l’écosystème français, note Eléonore Sayar, conseillère référente produits alimentaires chez Business France. En 2021, elles ont atteint le chiffre record de 2,5 milliards d’euros, affichant une croissance de 32% sur toute la période 2016-2021 ; et rien qu’entre 2020 et 2021, elles ont bondi de 18% ».
Un effet post-COVID ? Pas seulement… Car si la reprise du circuit RHD a joué à plein pour doper la demande, en viennoiserie notamment, les dynamiques de croissance semblent plus structurelles, tirées par des marchés américain (+149% de 2016 à 2021), chinois (+856% de 2016 à 2021) ou encore sud-coréen (+225% de 2016 à 2021) en pleine explosion.
CHINE ET ÉTATS-UNIS À LA DÉCOUVERTE DES TRADITIONS FRANÇAISES
« Tous ces marchés s’ouvrent progressivement aux habitudes culinaires venues du savoirfaire français… Il faut simplement que celles-ci s’intègrent dans la culture locale : on a vu ainsi apparaître des croissants bagel ou des croissants donuts aux Etats-Unis, ainsi que des viennoiseries au matcha au Japon, tandis que le beurre s’installe progressivement dans les cuisines chinoises », explique Dominique Anract.
En octobre dernier, il s’est rendu à Miami à la cérémonie du Grand Prix « Best Baguette & Croissant » de Floride 2022 où les enseignes Ficelle et Bettant Bakery ont été sacrées. Une opération de visibilité qui fait écho à la Fête du Pain organisée à Shanghai en ce même mois d’octobre, qui rassemblait plusieurs médias locaux et fournisseurs français réunis par Business France… « Nous souhaitons multiplier au maximum ces événements dans les différents pays car ils peuvent donner l’opportunité aux artisans locaux de produire à leur tour… avec des ingrédients français », confie Dominique Anract, qui compte sur l’inscription à l’UNESCO pour accélérer le mouvement.
LA RHD, FER DE LANCE DANS LES NOUVEAUX MARCHÉS PORTEURS
Car la Chine et les Etats-Unis, bien que très porteurs, n’ont pas le monopole des futures exportations françaises : de nouveaux marchés au Moyen Orient ou en ASEAN semblent peu à peu intéresser les artisans en voie d’implantation ou les grands industriels – comme au Vietnam, où la baguette est déjà fortement installée grâce au sandwich traditionnel « banh mi ».
Sur tous les continents, de nouveaux concepts de cafés/boutiques mettent en valeur ces produits pour une plus forte adoption. « Aux Émirats Arabes Unis, des enseignes comme Birch ou French Bakery proposent de consommer des produits d’inspiration française en même temps que d’autres produits de snacking internationaux ; et au Japon, la marque Échiré a ouvert La Maison du Beurre à Tokyo et Osaka pour acheter mais aussi consommer sur place des produits fabriqués à base de beurre d’Échiré », témoigne Eléonore Sayar.
La restauration reste d’ailleurs un relais fort d’implantation dans ces marchés en développement – comme c’est le cas à Dubaï et au Qatar où des niches de food service comme les fonds de tarte ou pâtisseries surgelées sont activement recherchées par les chaînes de restauration, y compris haut de gamme. « Mais, en ce qui concerne les circuits de grande distribution ou les circuits spécialisés, il est également possible de trouver des opportunités en MDD ou dans le rayon surgelé pourvu que les produits répondent aux tendances de consommation du moment et à de bons critères de conservation », complète Eléonore Sayar.
UNE RECHERCHE DE QUALITÉ ET DE DURABILITÉ
Les tendances de consommation : dans le secteur BVP, elles sont essentiellement orientées vers les produits « sans » (ex : sans gluten, sans additifs) ou vers la durabilité (attention au suremballage, souvent mal vu sur les différents continents : privilégier des formats plus petits affichant les informations nutritionnelles). « La qualité des ingrédients est une donnée scrutée par les consommateurs, surtout s’il y a l’étiquetage Made in France : ils vont s’attendre à trouver des allégations traditionnelles (ex : farines anciennes) ou saines (bio, vegan) », poursuit Eléonore Sayar. Même si la question du « trop gras » ou « trop sucré » peut être soulevée par les consommateurs, elle ne semble pas fragiliser le secteur, ces produits étant souvent consommés ponctuellement, dans une perspective festive ou sociale (à commencer par les macarons ou produits traiteur).
L’EUROPE, MARCHÉ NATUREL DES EXPORTATIONS FRANÇAISES
Des perspectives positives pour le secteur au grand export, donc, qui ne doivent cependant pas masquer une réalité chiffrée : l’Europe reste la destination privilégiée des exportations françaises. « Les trois principaux clients de la France en 2021 demeurent ses marchés voisins – le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Belgique – sur lesquels il subsiste de grandes opportunités de croissance », rappelle Eléonore Sayar. La proximité favorise notamment l’export de produits frais (DLC : 30 jours) ou prêts à cuire qui peuvent trouver leur place en MDD ou marque propre dans les rayons de la GMS locale.
Objectif : faire grandir les parts de marché françaises sur ces marchés de proximité qui subissent la concurrence des autres grands fournisseurs mondiaux que sont l’Italie, les Pays-Bas ou le Canada. Car si les exportations françaises ont effectivement le vent en poupe depuis quelques années, la tendance est suffisamment globale pour générer de la concurrence : en effet, à échelle mondiale, les exportations en BVP ont connu une hausse de 36% entre 2016 et 2021 (à comparer avec les 32% observés à échelle française).
LE MADE IN FRANCE TIRÉ PAR DES LEADERS INDUSTRIELS
Pour affirmer sa position de leader (elle est troisième fournisseur mondial derrière l’Allemagne et le Canada), la France peut compter sur ses principaux fers de lance industriels comme les groupes Le Duff, Délifrance, Holder (enseigne Paul), Mademoiselle Dessert ou Boncolac. Ces entreprises affichent en effet des taux d’internationalisation très forts : Délifrance, un des leaders de la BVP surgelée, réalise en effet 80% de son chiffre d’affaires hors de France (47% en Europe) ; Le Duff (enseignes Bridor ou Brioche Dorée) réalise 75% de ses ventes à l’étranger ; et Mademoiselle Dessert est numéro un de la pâtisserie surgelée en Europe. Des industriels qui ont d’ailleurs rapidement investi dans des unités de production sur les marchés porteurs (Etats-Unis, Chine…)
Mais au-delà de ce tissu de grands industriels, des entreprises plus petites et axées sur l’innovation d’usage (ex : le « Do it Yourself », la livraison ou la lutte anti-gaspillage) ou l’innovation industrielle commencent à regarder au-delà des frontières françaises. « Dans ce secteur, il y a notamment des enjeux forts autour des équipements, des ingrédients ou des process de fermentation » signale Eléonore Sayar.
REPENSER LE PRICING À L’HEURE DE L’INFLATION ?
Pour l’heure, l’ensemble des acteurs sont confrontés à une problématique d’inflation sur les matières premières et les coûts énergétiques qui sévit sur toute la chaîne de valeur et oblige les uns et les autres à repenser leurs politiques tarifaires. Le prix de la farine aurait ainsi bondi de 60%, celui du beurre de 70% et celui du sucre de 50%. « Au-delà de la question du prix, il y également une problématique de disponibilité de ces matières premières », signale Dominique Anract qui craint des ruptures d’approvisionnement à la période de Noël, ou l’impact de phénomènes conjoncturels comme l’influenza aviaire sur la fourniture en œufs ou la concurrence du biocarburant dans la fourniture en sucre.
Une situation qui oblige le secteur à s’adapter : « Au-delà de l’adaptation des prix ou des modes de cuisson pour limiter l’impact énergétique, les entreprises innovent sur la réduction des emballages ou la composition des produits », signale Eléonore Sayar.
Une situation qui, sauf surprise, devrait perdurer sur l’année 2023 et créer de nouveaux enjeux sur le marché des exportations. « La dynamique de marché est si forte que l’on n’anticipe pas de repli en termes d’échanges ; mais la question du rapport qualité-prix de ces produits sera forcément posée », analyse-t-elle.
Du 19 au 23 janvier prochain, le SIRHA réunira les professionnels du food service et de l’hôtellerie-restauration à Lyon : l’occasion pour les acteurs de la BVP d’échanger avec leurs homologues internationaux sur ces stratégies commerciales à l’heure des crises (inflation, disponibilité, main d’œuvre…). Une Coupe du Monde de la Pâtisserie sera d’ailleurs organisée pendant l’événement. « La France a une excellence à faire valoir sur tous ces segments et l’export est plus que jamais un relais de croissance efficace pour les acteurs de la filière. Reste à consolider les stratégies de ciblage sur les nouveaux marchés et garder un œil innovant sur les tendances de consommation », conclut Eléonore Sayar.