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Andreas Kronawitter, pouvez-vous s’il vous plaît brièvement nous présenter l’association its-ch, son rôle, le nombre et le type de membres, les possibilités d’action, etc. ?
Its Switzerland, ou its-ch en abrégé, est une plate-forme dont l'objectif est d'optimiser le système global de mobilité de la Suisse en termes d'efficacité, de sécurité, de durabilité et de facilité d'utilisation. Elle réunit les acteurs publics avec les trois niveaux politiques - Confédération, cantons et communes -, les entreprises, la recherche et les associations. its Switzerland est née à la fin des années 1990 d'une initiative de l'Office fédéral des routes (OFROU) et s'est concentrée jusqu'en 2017 sur l'optimisation du trafic routier par des systèmes télématiques. C’est d’ailleurs ce sujet qui était au coeur des échanges lors du congrès européen des ITS qui s'est tenu à Genève en 2008. Depuis 2017, its Switzerland a été réorientée car il est devenu de plus en plus évident que les améliorations d'un seul mode de transport ne permettent pas de produire l'effet souhaité. Avec l'élargissement du champ d'action, le nombre de membres d’its Switzerland a augmenté, passant de 24 au 1er janvier 2018 à 42 au 31 décembre 2019.
Grâce à son ancrage étendu, its Switzerland peut discuter de questions d'actualité avec tous les acteurs concernés, ce qui permet de clarifier certaines questions et de donner des impulsions à l'administration, à la politique, à l'économie et à la recherche. its Switzerland a aussi constitué des groupes de travail thématiques et développé des formats de mise en réseau entre décideurs et experts : événements de réseautage trimestriels, colloque annuel sur la mobilité. L’association est en lien avec its Nationals, ses organisations soeurs en Europe, et de façon encore plus étroite dans la région "DACH" (Allemagne, Autriche, Suisse). Un approfondissement des relations avec l'Italie et la France serait souhaitable.
Pour quelles raisons la Suisse s'intéresse-t-elle aux concepts de mobilité intelligente ? Cet intérêt est-il nouveau ? Quel rôle joue la sphère politique ici ?
La Suisse est un pays attrayant et densément peuplé qui remplit également d'importantes fonctions de transit pour les pays européens voisins, notamment dans le trafic transalpin. Les motivations de la Suisse sont donc diverses : dans le domaine du transport transalpin de marchandises et de personnes, la Suisse s'efforce de transférer les flux de la route au rail afin de préserver les ressources foncières et énergétiques dans cet espace naturel sensible. En outre, une mobilité efficace, sûre et respectueuse de l'environnement est un facteur politiquement très important pour les villes suisses afin de pouvoir garantir une qualité de vie élevée à leurs habitants tout en offrant des conditions cadres optimales pour l'économie. Dans les villes, mais aussi entre les villes, des transports fluides et fiables sont un facteur clé de l'économie suisse, qui repose sur un haut niveau de connaissances et sur une forte division du travail. Les temps de congestion minimaux et la ponctualité des services de transport public sont un facteur de compétitivité car il n'est pas nécessaire de prévoir des marges pour se déplacer ou pour acheminer des marchandises.
Depuis plus de cent ans, les acteurs des transports publics en Suisse coopèrent étroitement. Les systèmes d'information des clients et de billetterie de toutes les entreprises de transport agréées sont synchronisés, soit 248 entreprises au total. Les passagers peuvent obtenir toutes les informations de toutes les compagnies en un seul endroit ; les billets achetés auprès de n'importe quelle compagnie sont valables pour toutes les compagnies de transport public. Les premiers pas vers un avenir intermodal ont également déjà été effectués : avec le SwissPass, un système de billettique dématérialisé (« account based ticketing system »), il est possible de combiner des prestations supplémentaires telles que l’autopartage, le partage de vélo ou les billets pour les remontées mécaniques et les stations de ski. La sphère politique, et en particulier l'administration, joue le rôle de "facilitateur" : par exemple, en 2018, its Switzerland, en étroite collaboration avec les autorités, a étudié comment le transport intermodal peut devenir une réalité en Suisse. Les résultats de ces travaux ont été intégrés dans le processus législatif. En outre, les autorités fédérales, et dans certains cas cantonales et communales, encouragent les innovations en matière de services de mobilité, de nouveaux concepts d'entraînement ou de mobilité autonome. Actuellement, l'amélioration du cadre juridique pour les innovations est un sujet important.
Comment les concepts ITS sont-ils appliqués en Suisse aujourd'hui ? Pouvez-vous en donner des exemples marquants ?
La Suisse met en oeuvre un large éventail de mesures. Comme nous l'avons déjà mentionné, les services intermodaux, également appelés " Mobility as a Service " (MaaS), sont un sujet clé. La Confédération soutient ici le développement d'une plate-forme qui peut être reliée à des plates-formes comparables dans les pays voisins par des points d'accès nationaux (« National Access Points »). Le programme "Linking Alps" doit ainsi permettre de développer une plateforme commune en collaboration avec l'Autriche, la Slovénie, l'Italie et la France. En Suisse, les offres "MaaS" ont été introduites dès 2017 : abilio était une plate-forme du "Südostbahn" (SOB) et du Touringclub Schweiz (TCS). Elle a été abandonnée en 2019. Sur la base de cette expérience, une nouvelle initiative pour une plate-forme de mobilité ouverte "openmobility" a été lancée, à laquelle participent déjà dix autres entreprises en plus de SOB et TCS. Les systèmes de billetterie automatique lezzgo et fairtiq, qui offrent un accès facile et sans infrastructure à tous les services de transport public en Suisse sous forme d'applications pour smartphones, constituent une approche complémentaire à l’offre MaaS. Fairtiq est déjà utilisé dans d'autres pays européens.
En ce qui concerne la conduite automatisée, la Suisse explore une voie de développement pour le transport ferroviaire avec "Automatic train operation", un sous-projet de "Smart Rail 4.0" porté par les plus importantes entreprises ferroviaires du pays. Pour le transport routier, l'OFROU a créé un cadre qui permet aux navettes autonomes de circuler sur la voie publique depuis 2016. A ce jour, des navettes sont en service à Sion, Fribourg, Schaffhouse, et des opérations pilotes ont été ou sont en cours à Zoug, Berne et Genève. Un "programme national d'essais" est actuellement en cours d'élaboration afin d'aborder les prochaines étapes du développement de la mobilité partagée et automatisée.
La mobilité à la demande est aussi un sujet : mybuxi est une initiative privée qui crée une alternative à la voiture particulière et un complément aux transports publics dans les zones rurales. CarPostal et les CFF ont mené d'autres projets pilotes dans les villes moyennes de Brugg et de Bienne, et la régie de transport de Zürich lancera un essai pilote dans les quartiers périphériques de Zurich en 2020. La Poste suisse a lancé un projet de drones pour le transport de petites marchandises, qui est en cours d'expérimentation au Tessin (Lugano), à Berne et à Zurich. Une autre initiative de la Poste est celle des "robots de distribution du dernier kilomètre" (last mile delivery robots), qui est en pause après une phase pilote réussie jusqu'à ce que les conditions cadres légales soient clarifiées.
Dans le domaine de la mobilité sans émissions, l'association Mobilité H2 Suisse s’engage pour la mise en place d'un réseau de stations-service à hydrogène couvrant l’intégralité du territoire national, d'une part, et la mise en place d'une flotte de 1000 camions pour les chaînes d'approvisionnement des plus grands détaillants suisses, d'autre part. Le Ministère de l'environnement, des transports, de l'énergie et des communications (DETEC) poursuit une stratégie de récolte et d’exploitation de données qui fournira la base nécessaire au développement de la mobilité. Cela permettra aussi de contribuer à la définition d’itinéraires multimodaux. De nombreuses entreprises utilisent déjà l'analyse de données et de plus en plus ont recours à l'intelligence artificielle, par exemple pour la maintenance des infrastructures ou des véhicules. "Cargo Sousterrain" (CST) et "Swisspod" sont d’autres projets qui ne sont pour l’instant pas à un stade avancé. Le projet CST ambitionne un réseau logistique souterrain entièrement automatisé qui relierait entre eux des centres logistiques urbains. Swisspod poursuit l'objectif d'une liaison à grande vitesse efficace sur le plan énergétique entre les centres urbains suisses.
Quelles technologies ou quels projets dans le domaine des ITS devraient émerger en Suisse au cours des 5 à 10 prochaines années ? Des entreprises étrangères sont-elles également impliquées dans ces projets ?
En principe, toutes les approches susmentionnées seront poursuivies. Les points forts de la Suisse résident d'une part dans le développement et la fabrication de composants tels que les capteurs, et d'autre part dans leur intégration dans des systèmes globaux. Dans le domaine du montage ou encore de la technique des véhicules, la Suisse ne dispose que de peu ou pas de capacités et de compétences. Ne serait-ce que pour cette raison, la Suisse est dépendante de coopérations avec des partenaires étrangers. A cet effet, elle offre un terrain de jeu d'innovation attrayant : le multilinguisme de la Suisse garantit le développement de solutions évolutives, sa taille modeste permet de mettre en place rapidement des projets d'innovation et son excellente infrastructure fournit les conditions techniques nécessaires. Prenons l'exemple de la conduite autonome : les premiers véhicules autonomes sur la voie publique ont été les navettes françaises Navya à Sion, dans le canton du Valais, contrôlées par Bestmile, une spin-off de l'EPFL (Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne).
La Suisse souhaite organiser le Congrès mondial des ITS en 2024. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s'agit et pourquoi la Suisse a déposé une candidature pour ce projet ?
La Suisse souhaite renforcer sensiblement sa capacité d'innovation et sa coopération internationale, en particulier avec les pays européens. Au cours des dernières décennies, l'Europe a été le leader mondial du développement de la mobilité, mais aujourd'hui l'Asie et l'Amérique du Nord sont des concurrents de plus en plus forts - avec des effets positifs sur la rapidité et la qualité du développement. Cependant, l'Europe et la Suisse risquent également de perdre le contact si elles n'investissent pas dans leur propre développement. La Suisse est "un condensé d’Europe" et veut apporter sa contribution au développement européen. La mobilité est l'épine dorsale de l'économie et, en même temps, un facteur clé de la qualité de vie - nous devons continuer à pouvoir jouer un rôle déterminant à cet égard. Nous serions également très heureux de pouvoir présenter un lien fort avec la France et les entreprises françaises.
Rédigé par Arnault PAGNARD, Chargé d’affaires export Industrie & Cleantech, Business France Zurich