15 à 17 millions : c’est le nombre de naissances enregistrées en Chine chaque année. Une statistique qui a tendance à baisser mais qui reste exceptionnelle d’un point de vue volume. « Quand on constate la stagnation des marchés de l’univers de l’enfant en Europe, c’est un potentiel qui fait forcément rêver », confie François-Victor Noir, conseiller export en Chine pour Business France. Il livre ici quelques conseils pour accéder à ce nouvel épicentre du marché de l’enfance.

 

 

L’EXPLOSION DES CONSOMMATIONS INTÉRIEURES

« Ce qu’il faut bien comprendre avec la Chine, commence-t-il, c’est qu’après deux décennies de développement par l’export, elle est en train de réorienter son modèle vers la consommation intérieure ». En cause : l’explosion des classes moyennes qui atteignent désormais des chiffres vertigineux - 400 millions de personnes gagneraient ainsi plus de 10 000 dollars par an en Chine, et en 2019, le pays aurait dépassé les Etats-Unis en matière de retail, totalisant 22% des parts de marché du secteur. « Ce qui est intéressant, c’est la répartition géographique : là où la croissance des années 2000 était concentrée sur les grandes agglomérations des côtes (Shanghai, Pékin, Canton, etc), elle explose désormais dans les villes intermédiaires de 2 millions d’habitants. Et on recense une cinquantaine de celles-ci en Chine ».

 

Une dynamique mass market qui se renforce quand on focalise sur le marché de l’enfant : « Qu’il s’agisse de l’habillement, des cosmétiques, des jouets ou de l’ameublement, on s’est rendu compte que les chiffres de croissance du segment enfant étaient à chaque fois les plus dynamiques de leur verticale », confirme François-Victor Noir qui cite « une croissance à deux chiffres » pour chacun d’eux : 14,4% sur le « kid fashion » (avec un marché de 31 milliards d’euros en 2018), 15,4% pour les cosmétiques (un marché de 2,5 milliards d’euros qui devrait doubler d’ici 2023), 19,1% pour les jeux et jouets (62 milliards attendus en 2023, avec une grande majorité de jeux digitaux) et une estimation supérieure à 10% pour l’ameublement (60% des parents prévoiraient de donner une chambre séparée à leurs enfants à partir de 9 ans). « Sur le marché de l’habillement enfant, on constate même une accélération sur le sous-segment bébés et nourrissons, avec 17,2% de croissance », complète-t-il.

 

L’ENFANT, PRÉOCCUPATION MAJEURE DE LA NOUVELLE GÉNÉRATION

Alors, pourquoi cet engouement subit depuis cinq ans ? « Il y a une pluralité de facteurs », explique-t-il. D’abord des facteurs politiques avec la réorientation nataliste de l’Etat qui cherche à rajeunir une population touchée par le vieillissement (seulement 16,7% de la population a moins de 14 ans) : fin de la politique de l’enfant unique en 2015, incitations fiscales, etc… Mais les effets tardent à venir et l’enfant unique reste la norme… d’où une certaine pression sociale à sa réussite, autre facteur structurant : « Les enfants chinois sont destinés à supporter toute la pyramide inversée de leur famille (4 grands-parents, 2 parents) donc on prend grand soin de leur bien-être et de leur développement dès la prime enfance ». Un phénomène sociétal qui se double d’un effet générationnel au niveau des parents : « Ceux-ci sont nés dans les années 80 ou 90 donc ce sont des populations fortement digitalisées qui ont acquis un pouvoir d’achat supérieur à celui de leurs propres parents. Ils sont prêts à débourser un budget plus important pour les biens de consommation « lifestyle » ». À cela s’ajoute le traumatisme des nombreux scandales sanitaires passés sur les produits infantiles fabriqués en Chine : lait contaminé, jouets toxiques… « Les consommateurs chinois ont pris l’habitude de se tourner vers les produits importés sur ces segments et d’y mettre un budget », confie François-Victor Noir.

 

ADOPTER UN POSITIONNEMENT PREMIUM

D’où un réel intérêt à investir ce marché pour les marques françaises : « La France est reconnue sur la qualité de ses produits, notamment dans la mode et les cosmétiques. C’est sur ce positionnement premium qu’elle peut espérer contrer l’offre locale qui reste plus low cost » avertit François-Victor Noir. Les marques chinoises commencent en effet à refaire leur retard et réinstaurer la confiance, avec des géants du secteur comme GoodBaby ou Semir qui rachètent les marques européennes (ex : Kidiliz racheté par Semir). Et la concurrence internationale ne manque pas de faire rage avec des pays comme le Japon et la Corée du Sud, déjà bien implantés sur le marché.

Pour l’heure, des marques comme Petit Bateau ou Jacadi sur le segment fashion, Mustela sur le segment cosmétique, et Moulin Roty ou Oxybul sur le segment jeu continuent de faire briller l’offre française. « Les marques françaises ne sont pas connues du grand public chinois : il y a donc un vrai effort de marketing et de storytelling à produire », conseille François-Victor Noir.

 

MARKETING VIRAL ET E-COMMERCE, LA PRIMAUTÉ DU DIGITAL

Le marketing. Pour conquérir une génération de millenials qui passent en moyenne 4 heures par jour sur leur téléphone et constituent 65% de la consommation chinoise, une appropriation de l’environnement digital chinois sera nécessaire. « Les géants du e-commerce chinois (Alibaba avec Tmall et Taoboa, et JD.com pour ne citer que les deux plus gros) sont désormais saturés de demandes et passent par des Third-Party Partners (TP) pour jouer les intermédiaires. Il faut être en capacité d’investir pour les engager sur les produits », prévient François-Victor Noir. Car la communication est capitale pour réussir son entrée sur le marché et les consommateurs seront particulièrement attentifs aux commentaires et photos/vidéos du produit : du e-commerce communautaire (comme la plateforme « Little Red Book ») aux avis d'utilisateurs laissés en ligne, en passant simplement par les réseaux sociaux, les mères chinoises utilisent plus que jamais le Web comme source d'informations. Ainsi, sur le moteur Baidu (équivalent de Google), plus de 100 millions de recherches liées aux produits Mère et Bébé sont effectuées chaque mois.

 

« Le e-commerce chinois croît tous les ans de 20% et constitue aujourd’hui 42% du e-commerce mondial : c’est donc un canal indispensable de distribution quand on démarre ici » confie-t-il. D’autant que l’apparition du e-commerce transfrontalier (« cross-border ») a permis à de nombreuses entreprises de livrer directement sans passer par un enregistrement de produit : le colis atterrit dans un entrepôt spécial dans une zone franche et est livré aux particuliers depuis celui-ci. « Pour les cosmétiques qui sont soumis à des stricts réglementations, cela peut valoir le coup… » suggère François-Victor Noir qui insiste sur les contraintes de la réglementation et des normes chinoises en matière de produits infantiles : « Il faut bien se renseigner en amont car il y a beaucoup de spécificités. De plus, l’enregistrement d’une marque ou d’un logo en France n’est pas automatiquement protecteur en Chine. Il est fortement recommandé de procéder à un enregistrement local pour la Chine où la règle du premier déposant prévaut ».

 

Malgré son explosion, le e-commerce n’a cependant pas (encore) enterré le commerce physique, qui reste prépondérant avec une vraie culture du mall dans les grandes villes. Dans l’univers de l’enfant, des multimarques spécialisés commencent à émerger pour offrir une alternative à la distribution traditionnelle en supermarché. « C’est probablement la meilleure opportunité de se faire référencer quand on arrive, moins cher qu’un emplacement dans un mall », signale François-Victor Noir. La clé du marché chinois résidera donc assez logiquement dans la recherche de bons partenaires commerciaux avec une vraie stratégie de régionalisation : « Les habitudes de consommation sont différentes d’une partie à l’autre de la Chine donc il vaut mieux trouver un distributeur ou agent commercial par région ».

 

LE SALON CBME MALGRÉ LE COVID-19

Pour le reste, la participation aux salons pourra faire office d’accélérateur : en octobre 2020 se tiendra le salon CBME à Shanghaï, un carrefour de 100 000 visiteurs et 3300 exposants consacré à l’univers de l’enfant (le plus gros salon mondial sur le sujet). « Pour les entreprises françaises qui peuvent faire le déplacement sur ce salon, il y a tout à gagner à se montrer car la concurrence sera forcément moindre et leur présence sera gage de solidité financière et de motivation aux yeux des acheteurs chinois », signale François-Victor Noir.

 

Reste que le coronavirus aura probablement un impact plus large sur les modes de consommation des chinois, de plus en plus concernés par les questions environnementales et sanitaires : « La sécurité des produits risque d’être renforcée. Mais on peut aussi s’attendre à l’émergence de filières bio ou naturelles qui prennent de plus en plus de place dans les référentiels millenials », analyse François-Victor Noir. Avant d’ajouter : « Avec la Chine, ce qui était à la mode en 2018 peut déjà être dépassé en 2020. Il faut en permanence se mettre à la page et rester au contact pour tirer parti de son immense potentiel ».