Nigeria - Cameroun : deux marchés voisins par la géographie mais dissemblables dans leur approche Santé. Le premier, de culture anglophone, est le futur géant démographique de l’Afrique, confronté à des enjeux immédiats d’accès aux soins primaires (sa population devrait atteindre 400 millions en 2050 et le hisser au troisième rang démographique mondial derrière la Chine et l’Inde). Le second, hôte de 25 millions d’habitants et d’héritage francophone, a déjà couvert son territoire d’un point de vue sanitaire dans les années 2010 et cherche désormais à moderniser ses équipements et élargir ses aires thérapeutiques. À la manœuvre au Nigéria : un secteur privé dynamique et ouvert aux investisseurs internationaux. Au Cameroun : une prédominance de l’Etat et des bailleurs internationaux.

Quels points communs dessiner alors entre ces deux puissances de la zone ?

 

1. L'émergence des classes moyennes

2. Un secteur dépendant des importations

3. Au Nigéria, le développement de cliniqes privées

4. Au Cameroun, des programmes hospitaliers étatiques

5. La France, un acteur de premier plan

6. Construire un leadership sur le marché

7. Inciter les exportateurs à explorer les marchés

8. Découvrez les rendez-vous à ne pas manquer sur la zone Afrique

 

 

L’ÉMERGENCE DES CLASSES MOYENNES

D’abord le développement d’une classe moyenne qui s’incarne de part et d’autre par des chiffres en pleine accélération : celle-ci représenterait 7 millions de personnes au Cameroun (avec un taux de croissance de 3% par an) et près de 30 millions au Nigeria (sur une population totale de 210 millions de personnes)… Autant de consommateurs potentiels pour des médicaments et soins de qualité, sachant que les assurances santé passent souvent par le contrat de travail. « Au Cameroun, explique Patrick Bassom, chargé d’affaires export sur l’Afrique Centrale pour Business France, des pathologies liées au surpoids et au vieillissement commencent à émerger, avec des besoins accrus en cardiologie et en oncologie ». Au Nigéria, ce sont principalement des soins liés aux maladies infectieuses et tropicales (paludisme, malaria, tuberculose, VIH...) qui sont attendus par la population – les activités de cardiologie, oncologie et dialyse faisant plutôt l’objet d’un tourisme médical vers l’Europe ou l’Inde pour les populations les plus aisées.

 

UN SECTEUR DÉPENDANT DES IMPORTATIONS

Mais, en ligne de mire également, une ouverture accrue aux importations qui ne devrait pas s’essouffler. Au Cameroun, 93% des médicaments consommés sont d’origine importée (80% pour les dispositifs médicaux), tandis qu’au Nigéria près de 3 milliards de dollars sont consacrés à l’import de produits pharmaceutiques, notamment sur les produits médico-jetables. Signe d’une tendance longue dans ce pays : entre 2019 et 2020, les importations d’équipements de médecine ont connu une hausse de 15%… Une dynamique qui peut s’expliquer par des incitations gouvernementales à la fourniture sanitaire pendant la crise du COVID-19, période pendant laquelle les droits d’importation ont été exonérés sur tout type de matériel médical, avec une procédure fast-track pour les dispositifs médicaux, les consommables et les produits pharmaceutiques. Un phénomène qui ne serait pas juste conjoncturel : « Nous pensons que la demande va s’accentuer dans les années à venir, sur les produits pharmaceutiques, les dispositifs d’analyse mais aussi sur les matériels de radiologie, cancérologie ou logiciels de télémédecine », explique Mounir Alhoz, directeur du bureau Business France au Nigeria. Car sur l’un et l’autre marché, les bureaux Business France observent un rattrapage et une modernisation en matière d’infrastructures hospitalières qui devraient doper le besoin en équipements de long terme.

 

AU NIGÉRIA, LE DÉVELOPPEMENT DE CLINIQUES PRIVÉES

Doté d’une offre totale de plus de 40 000 hôpitaux et cliniques sur tout le territoire, le Nigéria s’est ainsi équipé en 2021 du premier centre d’oncologie privé du pays, financé par GE Healthcare ; en 2014 c’était le Tristate Healthcare System qui ouvrait un centre de cardiologie à Lagos, avant que d’autres centres ne voient le jour à Oyo et Ogun. « Dans ces établissements, il y a notamment des demandes en matière de transformation digitale qui ouvrent des opportunités pour les acteurs français du cloud computing, du e-crm ou de la protection des données et des systèmes », témoigne Mounir Alhoz. Dans ce pays où la santé ne dépasse pas 3% du budget de l’Etat, les investissements proviennent essentiellement du secteur privé ou des bailleurs internationaux (l’AFD soutient ainsi la fondation Medical Credit Fund pour améliorer la qualité et l’accessibilité des soins). « Mais nous souhaitons également attirer l’attention des entreprises françaises sur la signature récente, en janvier 2022, d’un prêt concessionnel de 55 millions d’euros du Trésor français dans l’Etat d’Oyo qui devrait ouvrir de nombreux marchés », alerte Mounir Alhoz.

 

AU CAMEROUN, DES PROGRAMMES HOSPITALIERS ÉTATIQUES

Cette dynamique d’investissements est encore plus marquée au Cameroun où le pays déploie un tissu d’infrastructures par phases successives : « La première phase de 2000 à 2020 visait à développer le maillage du territoire en créant des infrastructures de premier contact », explique Patrick Bassom. « Désormais, l’Etat se concentre sur la modernisation des établissements de villes en s’appuyant sur la télémédecine pour essaimer dans les territoires plus reculés ; mais aussi sur l’adaptation de l’offre au nouveau profil sanitaire – c’est-à-dire aux maladies non infectieuses ». En effet, si les maladies cardiovasculaires et le cancer représentent aujourd’hui 43% des pathologies identifiées et le plus grand facteur de mortalité dans le pays, elles sont sous-représentées en termes de consultations hospitalières : seulement 38%... « D’où une enveloppe conséquente de 5,6 milliards d’euros prévue par l’Etat camerounais entre 2021 et 2025, sachant que celui-ci détient 70% des établissements de santé et qu’il avait déjà investi 5,41 milliards entre 2016 et 2021 », signale Patrick Bassom. Les ¾ de cette enveloppe seront financés directement sur fonds publics, dont une partie importante de ressources d’emprunt auprès d’institutions internationales telles que la Banque Mondiale ou le Fonds islamique de Développement. Ce dernier va d’ailleurs financer la construction et la mise d’unités de transfusion sanguine.

Résultat : deux tiers des investissements dépendent de l’Etat, même si le secteur privé n’est pas resté inactif ces dernières années, avec plus de cent cliniques indépendantes créées entre 2010 et 2018. « Ces ouvertures de cliniques sont en grande partie le fait de quelques groupes historiquement associés à des organisations religieuses, à l’exemple du groupe Ad­Lucem qui inaugurera en 2022 une nouvelle clinique de 150 lits à Mfou (banlieue de Yaoundé) et va lancer en 2023 un autre projet de CHU à Olémbé spécialisé dans l’oncologie et la cardiologie. Dans l’ensemble, les encours d’investissements privés sur la période 2020-2025 sont estimés autour de 300 millions d’euros », relève Patrick Bassom.

Toutefois, l’implication du secteur privé dans le développement du secteur de la santé s’étend bien au-delà des montants et projets susmentionnés. En effet, environ ¼ des 5,6 Mds EUR du plan public en cours, soit 1,5 Md EUR, devrait faire appel à du financement privé dans le cadre de partenariats publics-privés. Un projet de déploiement d’un réseau d’hôpitaux ambulatoires en partenariat avec l’opérateur français CLINIFIT est déjà en cours, tandis qu’un autre programme de rénovation des 3 plus grands hôpitaux du pays (capacités unitaires comprises entre 1000 et 1500 lits) fait actuellement l’objet d’un appel à manifestation d’intérêts pour le recrutement d’investisseurs et d’ensembliers.

 

LA FRANCE, UN ACTEUR DE PREMIER PLAN

Une accélération des investissements qui confirme donc le potentiel important de la région pour les entreprises françaises de la filière santé – qu’il s’agisse de fournisseurs de produits pharmaceutiques, d’équipements, de technologies mais aussi d’assurances et de solutions de financements.

Certaines ont d’ailleurs déjà lancé des stratégies de présence sur ces marchés, comme Sanofi qui a signé en 2019 un contrat avec l’usine de fabrication nigériane May & Baker Nigeria, ou Biogaran qui a acquis la société nigériane Swipha en 2017 (production et distribution de médicaments) - sans compter Axa, déjà présent depuis 1989 au Nigéria et actuellement quatrième assureur du pays. « La France est particulièrement reconnue sur les produits pharmaceutiques mais aussi les segments d’analyse médicale, d’implants orthopédiques et dentaires, ou encore sur l’imagerie médicale », rappelle Mounir Alhoz.

Au Cameroun, cet ancrage français s’est développé lors de la première phase d’équipements du pays pendant laquelle des acteurs comme DMS-Apelem sur l’imagerie ou Tarkett pour les revêtements muraux sont intervenues sur la rénovation de onze hôpitaux. Mais par-dessus tout, la présence française s’incarne dans le leadership des deux gros distributeurs que sont Laborex Cameroun et Ubipharm Group, ainsi que dans les actions de promotion du LEEM, partenaire de l’agence camerounaise du médicament. « Les liens historiques tissés avec la France forment un élément de facilitation business indéniable, confirme Patrick Bassom. La plupart des médecins camerounais ont été formés en France et connaissent donc les marques de référence ».

 

CONSTRUIRE UN LEADERSHIP SUR LE MARCHÉ

Un avantage comparatif de poids face à une concurrence exacerbée, souvent guidée par le prix. « Il y a eu une logique d’achat des équipements asiatiques au début des années 2000, mais les notions de durabilité et de disponibilité entraînent un certain retour vers les offres européennes », assure Patrick Bassom. Au Nigéria, les rivalités sont plus âpres encore, avec une nette domination de la Chine et de l’Inde mais surtout des Pays-Bas qui s’inscrit en solide leader Santé, tous segments confondus (les Emirats Arabes Unis puis la France complètent le top 5).

« Le gros challenge d’une présence au Nigéria, c’est l’éclatement des structures de distribution », analyse Mounir Alhoz. « L’abondance de détaillants pharmaciens rend compliqué le ciblage du marché – d’où la nécessité de se mettre en lien avec des importateurs grossistes locaux qui auront cette capillarité dans l’approche ». Autre conseil fréquemment partagé par Business France : l’entrée sur le marché via Lagos, le poumon économique du pays, qui permet ensuite de rayonner vers les régions intérieures via des partenaires (des représentants des hôpitaux privés, des associations professionnelles comme l’Association des Ingénieurs en Dispositifs Médicaux ou le Medical Laboratory Science Council).

 

Car si l’accès au marché nigérian est facilité d’un point de vue tarifaire et douanier, il n’en reste pas moins exigeant en matière de réglementation : « L’enregistrement des produits auprès de la NAFDAC[1] est obligatoire, notamment pour lutter contre la contrefaçon : il faut en prévoir la durée (deux mois environ) et le coût » signale Mounir Alhoz. Raison pour laquelle Business France préconise régulièrement d’opter pour les services d’un cabinet juridique en amont d’un lancement sur le marché…

Côté camerounais, les liens administratifs historiques avec la France ont plutôt valeur d’accélérateurs « même si les procédures sont strictes et les exigences de qualité proches de ce qui existe en Union Européenne », souligne Patrick Bassom.

 

INCITER LES EXPORTATEURS À EXPLORER LES MARCHÉS

Un message de valorisation qui tranche parfois avec des préjugés infondés : « ll y a parfois un travail d’interpellation à faire auprès des exportateurs français sur le fait que les demandes en solutions sont plutôt haut de gamme et que les donneurs d’ordre souhaitent acheter français : c’est un marché encore souvent méconnu sur lequel on incite les exportateurs à se positionner dès à présent », alerte Patrick Bassom.

Même constat au Nigéria : « Les exportateurs se mettent des freins irrationnels sur ce pays alors qu’il est le futur géant de l’Afrique, avec une ouverture business importante : trop souvent les exportateurs français ciblent les pays d’héritage francophone alors que les opportunités sont nombreuses sur les pays au passé anglophone », appuie Mounir Alhoz. D’autant que la zone de rayonnement est large, avec des débouchés vers le Ghana, le Bénin et le Congo…

 

 


[1] National Agency for Food & Drug Administration and Control